Certaines lettres ne sont jamais envoyées. Elles sont écrites pour soi-même, pour déposer ce qui pèse et transformer la douleur en mots. Dans l’article, une lettre que j’ai écrite à l’adolescente que j’étais à 15 ans est un exemple d’écrit qui m’a libérée.
Voici pourquoi les lettres thérapeutiques ont ce pouvoir.
Externalisation de la douleur
Ecrire ce qui nous fait mal permet de faire du papier le contenant de notre souffrance afin de mettre une distance avec celle-ci. Créant ainsi une libération émotionnelle immédiate.
Donner du sens et de la cohérence
Pour écrire un texte qui ait du sens et de la cohérence, il est nécessaire d’organiser ses pensées. De ce fait, on analyse les faits, les phrases, on fait des liens et on trouve des explications. A travers ce processus d’écriture, on réalise qu’on redevient acteur de son récit et pas seulement une victime.
Validation et reconnaissance
En s’écrivant à soi-même, on se donne la bienveillance qu’on n’a pas toujours reçue ou maladroitement. Rédiger une lettre de cette façon, nous permet de valider ce qui a été vécu et surtout, sans aucun jugement ni critique.
Processus neurologique
L’écriture manuscrite produit de véritables effets mesurables sur notre cerveau et notre corps.
Pendant le processus d’écriture, le cortex préfrontal (zone du raisonnement) s’active et calme l’amygdale, qui gère parmi les émotions intenses et bien d’autres spécificités. Cela signifie que le cerveau passe du mode « alarme émotionnelle » au mode « observation bienveillante ». L’hippocampe, le centre de la mémoire, transforme les souvenirs traumatiques en récits structurés afin que ceux-ci puissent être « ranger » correctement.
Le cerveau traite différemment une émotion pensée et une émotion écrite. Une émotion qui tourne en boucle reste floue et anxiogène alors qu’une fois écrite, cette émotion devient structurée et observable. C’est comme donner un nom à un animal sauvage pour l’observer en sécurité.
Jame Pennebaker, psychologue pionnier de l’écriture expressive, a démontrer qu’écrire 15 à 20 minutes par jour pendant trois à quatre jour produit des résultats mesurables : diminution du cortisol (hormone du stress), meilleur sommeil et amélioration du système immunitaire.
Sur le plan biochimique, comme dit précédemment, le cortisol diminue au profil de l’augmentation de l’ocytocine (hormone amour, confiance, lien social), la sérotonine (hormone du bien-être) et les endorphines (hormone du bien-être). Le soulagement est souvent immédiat et le bonus sont les effets profonds d’intégration du changement amorcé par l’écriture qui se déploieront sur plusieurs semaines.
Transformation symbolique
L’acte d’écrire devient un rite de guérison en devenant un point final symbolique de l’emprise de la douleur sur nous. Ce qui était « subi » devient « raconté », une sorte de reprise de pouvoir.
Liberté totale
Ecrire, c’est se libérer de ce qui est tabou ou difficile à dire, c’est faire parler des émotions négatives sans crainte : colère, haine, honte… Il est toutefois recommandé de partager cette lettre avec une personne de confiance -un thérapeute, un ami proche, un accompagnateur en écriture – afin qu’un regard bienveillant extérieur puisse valider le vécu douloureux. Cette étape n’est pas obligatoire, mais elle amplifie souvent le processus de guérison : être entendu et reconnu dans sa souffrance est profondément réparateur. Si vous préférez garder votre lettre pour vous, les bienfaits de l’écriture restent néanmoins très importants.
Réparation et pardon
Ecrire une lettre à soi-même est également une façon de clôturer des conversations inachevées et de dialoguer avec diverses parties de soi. L’écriture crée un espace pour le pardon.
Projection vers l’avenir
La lettre à soi-même fait émerger des leçons et permet la croissance. Lorsqu’il est mentionné : « Maintenant je choisis de… » ou autre phrase similaire, cela crée un contrat avec soi.
Un exemple de lettre à soi-même
Lettre à l’adolescente que j’étais à 15 ans
Cher toi,
Je t’écris depuis mes 32 ans, assise sur mon siège dans ce bureau qui appartient à mon actuelle entreprise. Tu ne le sais pas encore mais dans 17 ans, tu feras de cette écriture qui t’accompagne à chaque cours à l’école, ta profession. Tu auras le courage de sortir de ta zone de confort, ce qui, je le sais, te demanderas beaucoup d’efforts.
Je me souviens de ces feuilles de cours que tu remplissais d’une écriture très serrée comme si les lettres n’osaient pas exprimer la noirceur de tes émotions. L’encre déposée sur le papier n’était qu’un exutoire de ces pensées qui étaient ta réalité : « je ne suis pas assez bien », « je suis nulle » ; « mon existence a-t-elle simplement un sens ? ». Je sais que tu traversais une période extrêmement douloureuse et ce harcèlement scolaire n’a pas aidé. Te sentir observée en permanence pour être décriée aux toilettes. De ta cabine tu les entendais, ces filles qui te critiquaient et se taisaient lorsque tu manifestais ta présence. Puis, elles ont commencé à se moquer de toi devant toi. À tenir des propos que toi, en tant que personne sensible, tu n’as pas compris, tu ne pouvais appréhender cette méchanceté. Dans ton innocence, tu montrais aux autres tes difficultés et ainsi, tu donnais aux filles qui te faisaient du mal le bâton pour te faire battre. Tu t’es bien fait des amies, tu te sentais bien en leur présence mais le poison des langues de vipères ne tarissait pas et érodait doucement ta confiance en toi, en tes compétences et te muselait. Les mots ont rongé ton âme, ta vitalité et ton envie de vivre…
Aujourd’hui, je salue ton courage d’avoir reconnu que la situation devenait inquiétante quand une fille s’est permise de te donner un « gentil » coup. Le geste physique n’était pas violent du tout mais le choc porté au moral, lui, était destructeur. Bravo de t’être souvenue de ces personnes harcelées qui témoignaient à la télévision ou à la radio de l’escalade de la violence subie. Tu as réalisé que l’engrenage était sûrement en marche mais cela, tu ne le sauras jamais. Tu as eu la présence d’esprit d’en parler à tes parents, qui eux, ont bien perçu qu’il fallait te venir en aide et ont pris la décision de te changer d’école. Ta parole t’a libérée.
Je te pardonne de t’être fait marcher dessus et de ne pas avoir réussi à riposter. Tu n’avais pas toutes les cartes entre tes mains. Tu ne te rendais pas encore compte que les personnes qui sont autour de toi ne sont pas toutes gentilles et bienveillantes. Aujourd’hui, je dépose ma tristesse. Ces douleurs que j’ai traversées m’ont permis de me renforcer, d’apprendre à mieux me protéger et de découvrir que l’écriture est un très bon support émotionnel. Un outil qui permet d’ouvrir les vannes sans éclabousser les proches. Je n’oublie pas qu’il est parfois nécessaire d’appeler à l’aide et qu’il n’y a aucune honte à cela et qu’en aucun cas on est faible en appelant au secours. Il y aura toujours une personne pour répondre : un membre de la famille, un ami, une professeure, le corps médical, un numéro de téléphone… Autant de refuges pour s’abriter et être écouté.
Ce que je garde de toi c’est cette très belle sensibilité que j’ai appris à maîtriser pour en faire une merveilleuse alliée au quotidien et grande amie dans mon écriture. J’ai gardé de cette expérience qu’on a vécue, l’envie de porter assistance par l’écriture aux personnes qui vivent des expériences douloureuses. Je ne suis pas psychologue ou thérapeute. Mais je suis celle qui leur permettra de se distancer de leur vécu difficile en le mettant sur papier et pourquoi pas, d’en discuter ensuite avec leur thérapeute.
Merci à toi d’avoir tenu bon et d’avoir fait de moi la femme que je suis aujourd’hui. Je suis fière de nous.
Se lancer seul est parfois difficile. Si vous ressentez le besoin d’écrire votre lettre de guérison mais ne savez pas par où commencer, je peux vous accompagner.
